Il s’était assoupi au parc, après une longue nuit. Il avait les traits tirés, le regard dans le vide, assis contre un arbre, les jambes étendues devant lui. Le col de sa chemise formait un angle bizarre et son pantalon était taché par Dieu sait quelle cochonnerie. Il espérait simplement qu’il ne s’agissait pas de vomissures. Il attendait que son corps daigne se remettre en route, quitte cet état léthargique et lui donne suffisamment d’énergie que pour qu’il se redresse et se relève. Mais pour l’instant, il n’y arrivait tout simplement pas. Il était pourtant paisible, la respiration normale, comme s’il goûtait pour la première fois depuis une éternité au bien être de se retrouver parmi les arbres, de sentit une brise légère lui caresser le visage et des odeurs agréables lui envahir les narines. L’herbe fraichement coupée avait toujours été l’un de ses parfums préférés. Pourquoi ne parvenait-il donc pas à apprécier les petites choses de la vie comme il savait le faire auparavant ? Pourquoi, maintenant, chaque minute de son existence ressemblait plutôt à un véritable calvaire ? Il ferma les yeux et soupira en écoutant un son mélodieux l’envelopper, lui et les environs. Il associa d’abord le rythme au tambourinement qui sévissait dans sa tête mais réalisa bientôt que la musique était bien réelle. Il la laissa l’imprégner un instant, les yeux toujours clos, puis finit par ouvrir les paupières, poussé par la curiosité. Ses vertèbres craquèrent, comme s’il était resté dans cette position durant une décennie et il chercha d’abord la provenance de la mélodie avant de se décider à bouger. Il avait les jambes en coton, le cœur en vrac, le regard voilé mais il trouva l’énergie nécessaire pour retrouver toute sa hauteur. Il se dirigea vers l’origine des sons et découvrit avec une certaine stupéfaction une demoiselle occupée à jouer de son corps mais également de tout ce qui était à portée de ses baguettes improvisées. Elle avait une sensualité peu commune qui eut un effet dévastateur sur le cœur de Pavel. Jamais il n’avait vu une telle grâce, une telle magie se dégager d’un simple corps. Et le pire dans tout cela, c’est qu’elle ne semblait pas le faire dans le but d’attirer les foules mais bien parce que c’était naturel pour elle. Porté par la poésie de cette vision, il ne réalisa pas son approche, il ne remarqua pas qu’il s’était mis à vibrer aux sons qu’elle produisait, comme hypnotisé par ce qu’il voyait. Il ne sentit pas ses doigts remuer non plus. Il pensait tellement avoir éradiqué la musique sous toutes ses formes de son existence que même un simple tapotement du bout des doigts était proscrit. Et là, c’était comme si quelque chose renaissait en lui, ravivé par les notes.
Il ne la voyait plus. Il regardait dans le vide. Absent et tellement présent à la fois. Il ne comprit son erreur – il n’aurait jamais dû s’approcher, cela impliquait forcément plus que s’il était resté dans son coin – que lorsqu’il nota son approche. Il avait capté son attention, Dieu sait comment, et il sentit les regards converger vers lui, comme s’ils attendaient qu’il réponde à l’invitation muette de la musicienne. La rêverie dans laquelle Pavel était plongé depuis une ou deux minutes s’estompa instantanément et son regard redevint froid et distant, ses poings se serrèrent pour cesser de battre le rythme. Il regrettait déjà de s’être laissé emporter. S’il avait enfoui cette part de lui, c’était pour une bonne raison et il n’allait certainement pas la libérer parmi ces inconnus. Reculant d’un pas pour bien faire comprendre qu’il n’avait aucune intention d’entrer en interaction avec elle, il sortit du cercle. Si des regards laissèrent deviner la surprise, il les ignora, gardant le sien braqué sur la jeune femme avec un message clair et précis :
« n’essaie même pas, c’est peine perdue ». Il espérait sincèrement qu’elle ne viendrait pas le chercher parce qu’il serait alors contraint de faire volte-face et s’éloigner pour échapper à cette situation qu’il détestait déjà.