Samedi matin. Je bâille en mettant la main devant ma bouche; mon cours d'histoire des civilisations a trainé en longueur. De toutes manières, Mrs Gringer, vieille femme dans la soixantaine, nous lâche toujours en retard. C'est pourquoi j'ai été en retard pour le déjeuner, déjeuner que j'ai pris sur le pouce - sous l'oeil désaprobateur de Rebecca. Rebecca, c'est ma grand-mère, mais le terme "grand-mère" est pour moi un terme affectueux, qui désigne une personne de laquelle on est plutôt proche. Une grand-mère, c'est une personne âgée, douce, qui a des connaissances incroyables. Rebecca correspond à deux critères sur trois ; ce qui, me direz-vous, n'est déjà pas si mal. Il lui manque cependant la douceur. On dirait une femme d'affaire à l'énergie d'une femme de quarante ans, alors qu'elle en a quasiment dix-neuf de plus. Ce n'est pas le genre de grand-mère qui prendra la peine de s'attarder sur des peines de coeur, à moins qu'elle n'ait peur que cela entâche la réputation de la famille (Rebecca)Langdon-(Liv)Rundgren. Mais peu importe finalement; elle n'est pas si mal que ça. De plus, personne n'a dit que toutes les grand-mères devaient se ressembler.

J'ai eu, une fois de plus, droit à l'habituel sermon :
1) J'arrive en retard. J'aurais pu prévenir, tout de même. Comment ça, Mrs Gringer n'est pas une excuse ? Le bus non plus ? Pourtant, Mrs Gringer nous a fait sortir de son cours en retard, et le bus est resté bloqué à cause d'un feu rouge qui fonctionnaire bizarrement.
2) Je mange mal. Je devrais plus faire attention à ma santé. Ce n'est pas une bonne chose de manger un plat d'une demi heure en dix minutes à peine.
3) Ai-je toujours cette idée ridicule en tête de proposer des cours à Morgan Parker, le fils de cette femme au foyer ? Si mon entretien est concluant, oui. Manque-je de quelque chose ? Ne sais-je donc pas que si j'ai besoin de quoi que ce soit concernant l'argent il suffit de demander à Rebecca ? Oui, je le sais. Mais pour avoir mon indépendance, il ne me suffit pas de claquer des doigts. Pour le projet que je compte entretenir, j'ai besoin d'argent. Mais ça, je ne le dis pas à voix haute : je le garde pour moi. L'explication officielle pour Rebecca est donc : "Tous les étudiants ont un petit job de ce style. C'est une sorte de coutume pour se divertir."

Elle a bien tenté de m'en empêcher par maints détours; mais j'ai tenu bon, je n'ai pas lâché prise. C'est pourquoi, à l'heure fixée (le cadran de ma montre indique 13 heures 52), je me met en route vers le 1005, Lemon Street. Il me suffit de descendre la rue, ce qui se fait en facilement cinq minutes. Arrivée devant le petit portail blanc, je vérifie une fois de plus que le numéro correspond bien à celui donné. J'aspire une grande goulée d'air frais afin de me redonner contenance, puis j'appuie sur la sonnette. 14 heures passée de deux secondes. Bien droite, j'attends de voir si quelqu'un va se décider à venir. J'en profite pour admirer le jardin, superbement entretenu. Un trophée pour l'arbre centenaire qui se dresse dans un coin du jardin. Je sens que cet entretien va être une très bonne expérience !