La plupart du temps, lorsqu'un jeune homme tombe amoureux d'une demoiselle et qu'ils n'ont ni l'un, ni l'autre atteint l'âge de la majorité, les attentes d'une telle relation sont rarement bien sérieuses. Pourtant, la douleur d'un amour brisé pendant l'adolescence est souvent la plus vive car elle intervient à un moment de la vie où on pense que tout est possible. Tout, sauf d'être lâchement abandonné.
Ce fut le cas de Rhys Blythe. En couple avec Aryanne Cooper au cours de leurs années lycéennes, leur lien fut si fusionnel et évident que le jeune homme ne pouvait soupçonner le coup de massue qu'elle lui asséna, sans crier gare, derrière la nuque. En effet, alors qu'il lui semblait que tout se déroulait à merveilles entre eux, entre les éclats de rire, leurs frasques en tout genre et les moments plus intimes, Rhys fit le criant constat que sa petite amie l'avait quitté. Pas simplement lui, mais bel et bien Ocean Grove et Miami. Le message ne pouvait être plus simple à comprendre : c'était une rupture aussi sèche que pouvaient l'être une gifle reçue en plein visage. Quoique, Rhys aurait limite préféré se recevoir une baffe : ce genre de chose, il savait gérer vu le nombre de fois où il s'en prit une mais être ainsi démuni de la moindre explication, du moindre mot d'excuse était juste trop révoltant pour être cautionné. Aussi, les jours s'étaient transformés en semaines, puis en mois qui finirent par former des années, la douleur d'un amour de jeunesse perdu cicatrisa mais l'amertume et la rancœur qui pinçaient son cœur restaient intacts. Les années peuvent tout effacer, sauf une rancune largement méritée – du moins concernant Rhys. Malgré qu'il soit un parfait chrétien (ou en tout cas, « pense » l'être parce que ne soyons pas dupes ... ), la sainte parole qui affirme qu'il faille « tendre l'autre joue » n'était pas pour lui. « Œil pour œil, dent pour dent » lui sonnait d'avantage plus sensé.
Deux ans plus tard, Aryanne ne marquait plus la vie du jeune homme comme lorsqu'ils étaient encore ensemble : il ne l'avait pas oublié, ce serait injuste de le prétendre, mais il ne pensait à elle qu'à de rares occasions. Elle était sortie de sa vie aussi bien au sens propre qu'au sens figuré. En cette mâtiné d'octobre, rien ne pouvait laisser présager que Rhys ne tarderait pas à retrouver celle qu'il avait adoré puis franchement haït. Comme chaque matin, il avait largué ses draps pour un jogging soutenu : toujours aussi sportif malgré sa blessure au genou, le jeune homme ne passait pas une journée (sauf le dimanche) sans s'accorder une séance sportive. Peut-être aurait-il du s'abstenir aujourd'hui, cependant. Cela faisait bien deux heures que le jeune homme parcourait le parc puis Ocean Grove avant de rejoindre la plage pour conclusion. Accompagné de son labrador Glutton, le jeune homme se laissa tomber sur le sable fin et frais de l'Atlantique et commença à s'offrir un repos amplement mérité. Il était essoufflé, sur sa peau brillait l'humidité de ses efforts et ses cheveux retombaient en bataille sur son front mais il restait tout aussi reconnaissable que deux ans auparavant. Lorsqu'une voix l'interpela alors, il n'eut même pas besoin de lever son regard pour deviner sa propriétaire. Des lunettes de soleil sur le nez pour se protéger des premiers rayons on comprit néanmoins sans trop de difficulté à quel point il était abasourdi. Vivement, il finit par relever son visage et fixa, interdit, la jeune femme qu'il ne pensait pas revoir un jour. Ses traits étaient si tendus, son corps si raide qu'il était étonnant de voir que sa poitrine se soulevait encore au rythme de sa respiration. Alors que la politesse aurait demandé à ce qu'il se lève ou retire ses lunettes de soleil, il n'en fit rien et se contenta de lui répondre d'un voix aussi glaciale et tranchante qu'un stalactite.

« Qu'est-ce que tu fais là ? Tu t'aies souvenu que tu avais oublié quelque chose avant de t'enfuir ? »

Cette situation était une vraie catastrophe. Elle commençait à enfler de manière faramineuse alors que les deux jeunes gens s'étaient à peine regardés. D'un point de vue extérieur, c'était incroyable voire incompréhensible mais de l'intérieur, c'était évident que les choses devaient se passer de la sorte. La tension accumulée depuis deux ans, la surprise de ses retrouvailles inattendues, la rancœur de l'un et les reproches de l'autre, tout cela contribuait à l'éclat virulent qui surgissait entre Aryanne et Rhys. Certes, le principal responsable était le jeune homme : c'était lui qui avait le premier ouvert les hostilités mais Aryanne, par sa façon de répondre aussi vivement, prouvait qu'elle avait également son mot à dire et qu'elle ne tenait pas particulièrement à ce que tout se passe en douceur. Sinon, après tout, elle aurait très bien pu opter pour la solution la plus facile : celle de s'en aller, elle l'avait déjà fait, pourquoi pas le faire une seconde fois ? Mais c'était ainsi, ils devaient déballer leur sacs là et tout de suite car c'était ce qu'ils avaient toujours attendus – du moins cela l'était pour Rhys.
Toujours assit sur le sable, il avait détourné son regard vers l'horizon de l'océan et resta totalement impassible tandis que les mots d'Aryanne venaient éreinter ses oreilles. Il avait un millier de fois espéré réentendre sa voix et même si ses paroles à cet instant n'étaient pas les plus agréables à entendre, une infime partie de Rhys se sentait troublée par ce timbre qui lui avait été si précieux quelques années plus tôt. Les mains glissant sous le sable autour de lui, Rhys tentait de ne pas céder à la pression : il ne voulait pas lui crier dessus tout ce qu'il pensait qu'elle méritait de droit car il craignait de lui dire des paroles qu'il regrettait sans doute très rapidement. Mais cela devenait de plus en plus difficile de se retenir, surtout qu'Aryanne ne semblait pas accepter l'idée qu'il puisse choisir de l'ignorer … C'était compréhensible après tout, Rhys agissait comme la parfaite tête de mule qu'il était en refusant de discuter calmement avec la jeune femme. Enfin, quand elle lui demanda qu'il l'excuse, les mains de l'étudiant cessèrent de caresser les grains de sable. Il s'était soudainement figé, comme si elle venait de dire les fameux mots qui auraient pu tout changer … « Aurait put » car malheureusement, Aryanne ne jugea pas satisfaisant de s'arrêter là. Au contraire, elle décida d'en remettre une couche sur ses reproches au point que cela devint insoutenable pour Rhys. Quand elle affirma alors qu'il n'avait strictement pas changé, cela acheva de scandaliser le jeune homme. Après tout ce qu'il avait traversé ces dernières années, entre l'attaque d'un homme qui l'avait mit définitivement hors service sur les rings de boxe, son accident de voiture puis les décès successifs des Blythe Senior, cette remarque le choqua profondément. Elle n'avait pas le droit de débarquer à nouveau, ainsi, dans sa vie et se permettre de le juger alors qu'elle n'avait fait que lâchement l'abandonner. Soudainement alors, le jeune homme se leva du sable et s'approcha d'Aryanne d'un pas furieux et le corps crispé. Une fois arrivé exactement en face d'elle, à une distance qui serait vue de l'extérieur comme à la limite de l'indécence, Rhys retira brusquement ses lunettes de son nez et les tint à bout de bras. Il voulait être sûr qu'Aryanne vit clairement son expression et qu'elle sente à travers son regard à quel point il était furibond et touché.

« Comment tu peux oser ? Tu te rends compte de ce que tu fais, là ? Tu surgis dans ma vie, aujourd'hui, comme une rose, après m'avoir abandonné au seuil de la pire période de ma vie. Tu n'as aucune idée de ce que j'ai vécu depuis que tu m'as laissé, tu ignores à quel point j'aurais eu besoin de ton soutien pour traverser ce à quoi j'ai du faire face… Aryanne, tu n'es plus la bienvenue. Te pardonner ? S'il te plait, je me demande même si tu le désire réellement. »

Le visage brûlant, il fixait la jeune femme intensément. Ils étaient face à face mais c'était comme si un véritable mur s'était érigé entre eux. Ils se criaient dessus mais ne semblaient pas réellement s'entendre.
Évidemment. Après tout, ils étaient d'ex-amants et c'était sans doute logique qu'ils ne réussissent pas à se pardonner aussi facilement. De plus, qui dit « ex-amants », dit « flamme qui crépite encore secrètement, malgré soi, par nostalgie sans doute, au fond des cœurs ». Sans doute était-ce pour ça que Rhys ne réussissait pas à détacher son regard du visage si délicat de la jeune femme et qui lui avait si cruellement manqué. Ses grands yeux, son nez fin, sa bouche semblaient lui envoyer des messages du passé et Rhys avait beau être incroyablement remonté contre elle, il ne pouvait s'empêcher d'avoir envie de répondre à ces messages.