Feodosiy terminait sa très longue journée et en débutait une autre. Il était 1h30 du matin, et le bar fermait ses portes. Les derniers clients s’en allaient, tandis que lui, essuyait les verres qui lui restaient. Son regard noir finit par se poser sur un homme affalé sur son comptoir. Il fronça ses fins sourcils, posa le verre propre qu’il venait d’essuyer et s’approcha du l’homme.

Monsieur ?

Comme il l’avait prédit, celui-ci ne bougea pas d’un poil. Et il lui sembla même entendre un ronflement. – C’est pas possible bordel…- Il soupira, et observa autour de lui si il n’y avait de gros bras pour transporter cette carcasse dehors… Mais évidemment, personne ne traînait dans le coin. Il s’occupait toujours tout seul du bar, et du coup tout le monde avait pris l’habitude de le laisser se débrouiller. Il appuya sur le bras de l’endormi et le secoua un peu.

Monsieur, nous fermons !

Rien. Si ce n’est un gros grognement. Feodosiy attrapa un nouveau verre sans quitter l’autre des yeux et entreprit de l’essuyer.

De toute manière… M’étonnerait que tu ailles bien loin…

Et voilà Feo, tu commences à parler tout seul. C’est la fin pour toi. Il esquissa un fin sourire, et rangea son verre pour en prendre un autre et répéter les mêmes gestes. Il accéléra un peu la cadence, histoire de ne pas passer deux heures à laver dix verres. Puis il prit une éponge et nettoya le comptoir en évitant soigneusement l’homme bavant comme un escargot, ronflant et grognant. Bref, ce truc inhumain qui était tout simplement exaspérant. Un petit mouvement sur sa droite, le fit revenir sur terre, et il remarqua Lexington toujours dans son uniforme noir chic de serveuse, qui venait de s’asseoir. L’avantage dans ce bar, c’est qu’on n’est pas habillé n’importe comment. L’image qu’on donne est plutôt bonne : Feo lui portait une chemise blanche, une cravate noir, en pantalon noir et un tablier qui partait du cou pour terminer un peu au dessus des genoux. D’ailleurs il défit son tablier en la voyant et le retira. Le service était fini… Il pouvait un peu décompresser non ?

Quelle soirée hein Lexington ! – Il posa une main sur le comptoir pour s’appuyer un peu, un léger sourire flottant sur ses lèvres – Bon, je te sers quoi ce soir ?

Que l’homme dorme, ça Feo’ s’en foutait royalement… Ce qu’il redoutait c’était tout simplement l’état colérique qu’on ceux qui sont complètement saoul. Il ne manquerait plus qu’il lui détruise le bar. C’est pourquoi, il n’envisageait pas de le mettre dehors. Non pas lui. Il n’est pas assez fort en plus pour le traîner. Il attendra simplement qu’un videur daigne passer. Il devait encore y en avoir à cette heure.

Lexington : Tout ce que tu veux, mais évite les alcools trop forts, tu sais que je ne supporte pas ce genre d'alcool ! ... Sinon, quoi de neuf ?

Il glissa sa main libre sur son menton, réfléchissant à ce qu’il pouvait bien lui faire. C’était toujours un plaisir pour lui de faire des cocktails. En même temps c’était une activité ludique et sportive pour lui. Avec le peu de chose qu’il fait dans sa vie. Enfin… Façon de parler. Son temps libre est bien occupé par la fac. Donc oui, la demoiselle voulait quelque chose de pas trop fort…

J’vais te faire un Punch léger et bien frais. Juste assez pour se calmer !

Il lui tira un clin d’œil et se tourna pour aller chercher les bouteilles concernées, c'est-à-dire ici : Rhum blanc, sirop de sucre de canne, jus d’orange, jus d’ananas, jus de pamplemousse. Puis il alla récupérer de la cannelle et du thé. Enfin il revint prés de son amie.

Justement rien de neuf. Je rêve de mon lit là… Surtout. Les clients étaient chiant ce soir ou c’est moi ?

Il avait eu affaire à trois types qui lui ont fait refaire plusieurs fois différents cocktails sous prétexte qu’ils ne les faisaient pas comme ça. Franchement, il n’avait plus rien à apprendre sur le sujet depuis bien longtemps. Il soupira et se gratta la nuque, avant d’entreprendre la fabrication du punch. Ses gestes étaient plus amples, il fatiguait un peu là, donc il ne tenta pas de jongler avec les bouteilles. Une fois tous les ingrédients réunis dans le shaker, il se mit à le secouer violemment. Puis il attrapa deux gros verres ou il vida le contenu du shaker gris métallique, en dosant bien. Puis il ajouta des glaçons et fit glisser un des verres en face de Lexington.

Et toi ? Des nouveautés ?

Table dix-huit… – Il se tapota le menton du bout des doigts, l’air pensif. – J’ai peut-être du faire un truc pour cette table, mais on ne m’a rien reproché. Ma pauvre, elle s’est attaquée à ce qu’il y avait de plus prés. Toi en l’occurrence. – Il étouffa un rire et porta le verre à ses lèvres. Mais il en but un peu plus que Lexington. Une mauvaise habitude sûrement.- Encore heureux que je suis rapide… Il n’y aurait pas grand intérêt à m’avoir là – Il tapota content, son comptoir.

Une porte claque au fond de la salle, un gros gars baraqué s’approcha. Feo fit un signe à Lexington de l’excuser puis quitta son bar pour aller le stopper en le hélant et en pointant du doigt l’homme complètement ravagé.

Vous en avez oubliez un, là !

Monsieur muscle hocha la tête, puis attrapa l’autre comme si il s’agissait d’un simple sac à patate. Feodosiy en profita pour récupérer son éponge, et terminer de nettoyer son comptoir. Puis il revint vers la jeune fille tout en s’essuyant les main dans un chiffon blanc.

Enfin débarrassé.

Il but une nouvelle gorgée de son punch et reposa son verre.
Il appréciait beaucoup Lexington. C’était une collègue de travaille, enfin… La seule collègue de travaille, qu’il apprécie vraiment. Les autres sont étrangement solitaires. Il n’allait pas se plaindre en même temps. Lexington était une jeune fille simple et mignonne, à ses yeux. Peut-être qu’après elle était plus compliqué, mais généralement quand ils se voyaient, ils étaient bien fatigué, donc établir le caractère précis d’une personne à ce stade, relève presque de l’impossible.

Lexington : Rien de spécial. Ma triste vie n'est toujours pas trépidante...

Il alla s’appuyer contre un lavabo, juste en face de la jeune fille et croisa ses bras sur sa poitrine.

Mmh c’est triste ça. On va donc devoir casser du sucre sur le dos des clients de ce soir ? – Il leva la tête, focalisant son regard sur les lampes halogènes – Non, attends. Ils ont trop été gavant. – Et voilà, il se remettait à causer seul. Il secoua la tête puis se frotta le visage avec ses mains, qui continuèrent leur route jusque dans ses cheveux, qu’il secoua un peu – Bon sang, je n’ai pas les idées claires là… Tu reviens demain soir ou pas ?

PS: Je vais me coucher! je te reponds demain soir <3 Bonne nuit!

De toute manière et par définition, les clients avaient plus souvent l’habitude de rejeter la faute sur les serveurs. Au début, lorsqu’il avait postulé pour bosser au Blue Lagoon Bar, on lui avait dit qu’il serait serveur. Mais il avait traîné le directeur jusqu’au bar et lui avait montré ce qu’il savait faire. C’est comme, qu’à 19 ans, il obtint son boulot. Ce n’était pas très légal, mais il avait promis aux directeurs qu’il se tiendrait à carreaux et ne se ferait pas remarqué. Et voilà… Maintenant il est majeur, donc il s’en fout un peu de sa promesse. Il termina de ranger les quelques verres qui traînaient encore, et remit un peu d’ordre dans ses bouteilles. Il s’arrêta un instant histoire de vérifier que tout était en place, puis il revint près de Lexington.

Lui non plus ne fêtait plus son anniversaire. Enfin… Il ne voulait pas, mais Jhordan y tenait toujours. Alors il était un peu obligé de la suivre dans ses idées complètement loufoques. Il but une nouvelle gorgée bien froide de son cocktail.

Lexington : Très. C'est vrai que les clients sont de plus en plus pénibles à supporter, faudrait voir à ce qu'ils se calment... Non, demain soir, je ne reviens pas. C'est Bonnie qui est de service.

Bonnie ? Je ne lui parle pas beaucoup. Je reviens demain soir, j’ai préféré prendre mon lundi soir et mon mardi soir, cette fois. – Avec la fac de médecine à côté, il s’arrangeait comme il pouvait. Généralement, il venait plutôt en semaine et essayait de garder son week-end de libre. Enfin, depuis que ces parents l’avaient jeté de chez eux, il devait se débrouiller seul. Au début, ça avait été glorieux. Maintenant… Et bien maintenant sa situation est bien stable. Il est plutôt fière de lui.

Il acheva son punch cul sec, et fit une légère grimace. Le froid de la boisson lui fit un peu mal à la tête. Une fois le mal passé, il nettoya son verre et le rangea. Il esquissa un fin sourire espiègle et lui lança :

Le nombre de truc que je rêverais de faire pour les faire taire ces maudits clients…