&
(c) Datura & (c) CHERRYLIPS

Il ne fallut guère longtemps à Rhys pour s'apercevoir que la ville de Miami avait connu plusieurs changements durant son absence, principalement d'ordre urbanistique. Il avait, après tout, passé la plus grande partie de sa vie dans cette ville, le moindre arbre coupé lui sautait aux yeux ; alors la construction d'un amphithéâtre ne pouvait lui filer entre les doigts. Lorsqu'il apprit que la nouvelle architecture accueillera bientôt un festival musical consacré aux besoins d'enfants démunis, le jeune homme se surpris à l'attendre avec impatience. Certes, il venait à peine de déposer ses valises et avait eu la chance de voir un tas de spectacles plus étonnants les uns que les autres pendant ses derniers mois passés en Asie mais même s'il avait réussi à se défaire de pas mal de « clichés » américains en immergeant dans des cultures diamétralement opposées à la sienne, les noms de Radiohead, Rihanna et Damien Rice faisaient toujours briller ses yeux. De plus, le fait qu'une partie des bénéfices soient directement reversés à une association caritative ne pouvait que le convaincre de payer son ticket. En effet, Rhys avait toujours aimé les enfants – non pas qu'il souhaitait en avoir mais il s'était toujours senti proche d'eux. Étrange, non ? Pas tant que ça quand on sait que le jeune homme mange toujours des céréales au petit déjeuner, regarde des DVDs de super-héros et ne rate pas une occasion pour jouer avec son chien. Alors oui, la cause des enfants le touchait particulièrement parce qu'à ses yeux, l'innocence des enfants ne devrait jamais être mise en danger. Si participer à cet événement assurait ne serait-ce qu'à un gosse de dormir au chaud et en sécurité, alors cela valait bien la peine d'assister à un déhanché lascif de Rihanna, n'est-ce pas ?
Le samedi soir de la fameuse semaine du festival, Rhys se trouvait donc à l'entrée du bâtiment, entouré d'une foule aussi éclectique qu'inconnue. Mais cela ne lui posait aucun problème : la sociabilité n'avait jamais été un obstacle pour lui et il ne doutait pas de ses compétences pour réussir à se lier d'amitié avec n'importe qui s'il se mettait à tomber d'ennui. Ayant réussi à confier Glutton, son fidèle labrador au poil brun, à l'un de ses voisins pour la soirée, Rhys s'avança donc seul à l'intérieur de l'édifice après avoir réussit à passer la sécurité et se faufila avec difficulté mais efficacité à travers les silhouettes qui se dressaient autour de lui. Il finit par accéder à la salle de concert et, son billet en main qu'il venait d'obtenir en échange de plusieurs dollars, se dénicha une place assise. Il se mit alors à patienter pour le début de la représentation, l'air curieux et impatient de celui qui s'attend à un spectacle prometteur. La salle ne tarda pas à se remplir entièrement autour de lui et Rhys s'enfonça au fond de son fauteuil lorsque la lumière de la salle baissa et que celle de la scène s'illumina. Il ne remarqua donc pas qu'à cet instant, le siège sur sa droite et qui était resté entièrement vide jusque là venait de trouver un occupant. Le regard porté loin vers la scène, il ne pensa pas à jeter un coup d'œil sur ses voisins – après tout, il était venu pour Rihanna et pas pour mater le profil d'autres spectateurs … Et pourtant, il aurait du faire preuve d'assez de curiosité et détourner son regard ne serait-ce qu'un instant pour réaliser qui venait de prendre place auprès de lui car cela lui aurait sûrement évité le choc qu'il s'apprêtait à recevoir quelques secondes plus tard.
D'abord un frôlement, puis un toucher plus affirmé et enfin, des doigts qui s'entrelacèrent aux siens. La main de Rhys reposée sur l'accoudoir n'aurait jamais pu espérer un quelconque toucher de la part de la personne installée à ses côtés et pourtant, ce fut bel et bien un geste familier qui se déposa sur sa main. Le jeune homme ne retira pas sa main pour une raison précise : malgré l'obscurité, malgré n'avoir toujours pas regardé sa voisine, il savait de qui il s'agissait. Ces doigts, il les avait longuement tenu dans sa main quelques années plus tôt et la douceur particulière du contact était difficile à méprendre avec une autre. Son regard quitta alors la silhouette de Rihanna pour venir se poser sur sa propre main à présent recouverte d'une autre qu'il n'imaginait pas retrouver ici, à Ocean Grove. Un instant interdit, il prit une profonde inspiration et déroba sa main pour venir la poser sur sa cuisse, refusant toujours de poser son regard sur la jeune femme qui était à quelques centimètres seulement de lui. A présent, son cœur s'emballait mais ce n'était pas à cause du son puissant que dégageait les enceintes … Mais bel et bien sous l'effet d'une colère qui surgissait en lui et qu'il avait pourtant bataillé à faire taire durant de nombreux mois. La mâchoire crispée et soudainement nerveux, il n'arrivait plus à porter son attention sur ce qui se déroulait sur la piste malgré que ses yeux y étaient toujours rivés. Au bout d'un moment de « calme », il sembla enfin décidé à prendre la parole et sachant pertinemment que le bruit phénoménal du concert camouflerait la moitié de ses mots, il fit l'effort de détourner son visage vers la jeune femme. Son regard brûlant se posa sur celui de la jeune femme mais son intention n'étant pas un conflit visuel, il approcha son visage de marbre du sien pour que ses lèvres puissent atteindre le niveau de son oreille. Prenant bien soin à ne pas la toucher, il lui dit alors en parlant fort mais en restant tout de même discret à la fois.
« Tu ne devrais pas être là ! Muse, on n'a plus rien à se dire. »
Ses paroles étaient rudes et il ne doutait pas qu'elles risquaient fort de blesser la jeune femme mais c'était un mal par lequel il se devait de passer. Il ne voulait plus d'elle dans sa vie : ils furent amants, puis amis mais maintenant, leurs chemins devaient définitivement se séparer.

Le geste qu'elle exécuta prit Rhys de court. Bien entendu, ce n'était pas vraiment une surprise de sa part : Muse avait toujours été d'un tempérament impétueux et imprévisible mais là, au milieu de cette salle de spectacles et après la tension qui était quasiment palpable entre eux, il n'aurait pas cru qu'elle aurait le cran de le retoucher une nouvelle fois. Il fut donc contraint à tourner son visage vers le sien mais sa mâchoire était tellement crispée qu'il était presque certain qu'elle pouvait le sentir sous ses doigts. Son regard lançait des éclairs mais il restait tranquille, l'écoutant malgré lui mais lui offrant au moins l'opportunité d'être vraiment écoutée. Elle voulait donc parler ? Tout ce qui se devait d'être dit n'avait-il pas déjà été dit ? Rhys ne voulait plus être auprès d'elle, tout s'était brisé le jour où elle lui avait imposé une charge trop lourde pour ses épaules. Elle finit par baisser sa main, le libérant ainsi de son emprise, semblant lasse. Le jeune homme pourtant ne détourna pas son visage et continua de la regarder avec la même dureté dans le regard. Il était partagé entre le passé qui les unissait et le sentiment colérique qu'il ressentait à son égard depuis plus d'un an à présent. Soutenant l'un le regard de l'autre, ils semblaient en pleine bataille silencieuse alors que quelques mètres seulement devant eux les chorégraphies de Rihanna enflammaient la scène et rendaient le public dingue. La jolie blonde en vint enfin à reprendre la parole et à lui affirmer que ce n'était que le commencement s'il refusait de coopérer. Là, il la reconnaissait bien … Il secoua la tête sans répondre à son sourire mais le fait qu'il détourna son regard et que celui-ci perdit sa rancœur pendant quelques minutes indiquait qu'il baissait sa garde. A titre provisoire, malheureusement. Muse avait marqué sa vie, c'était indéniable, aussi bien dans le meilleur que dans le pire mais il craignait à présent de l'inclure dans son futur car il était persuadé que ça ne serait que pour le pire.
Les applaudissements qui s'élevèrent tout autour d'eux sembla ramener Rhys à la réalité concrète qui l'entourait. Jetant un coup d'œil absent sur la scène, il prit conscience que Rihanna recueillait avec plus ou moins de modestie l'ovation qu'elle recevait. Il remarqua par la même occasion que Muse restait tout aussi imperturbable et s'amusait même à taper des mains avec le reste de la salle. Son assurance l'avait toujours impressionné mais aujourd'hui, elle le frustrait. Elle était déterminée à obtenir de lui ce qu'il n'était réellement pas prêt à lui accorder. Cédant finalement, il attrapa l'une des mains de Muse qui continuaient d'applaudir et se leva rapidement. Son visage avait retrouvé sa rigidité tandis qu'il se dirigeait vers les côtés de la pièce, entraînant derrière lui la jeune femme. Ils recueillirent quelques protestations de fans mais Rhys s'en contrebalançait totalement. Il tenait toujours la main de Muse dans la sienne, sans oser la serrer franchement, et l'abandonna aussitôt qu'ils arrivèrent dans un coin ombragé et reculé de la pièce. Là, Rhys était certain d'être entièrement disposé à lui faire comprendre son incapacité à faire comme si de rien n'était. Malheureusement, c'était aussi un endroit plus proche des enceintes ce qui les forçait à se tenir à une distance réduite l'un de l'autre pour être certain d'être entendus. Froidement et hurlant presque au dessus de la musique, il lui dit alors.
« Bien, vas-y, je t'écoute ! Je suis curieux de voir de quelle manière tu pourras réussir à me faire changer d'avis. Il ne suffira pas de claquer des doigts, de m'agiter sous le nez nos beaux souvenirs. Je ne regrette rien, j'ai agis pour toi … Seulement, c'était ma dernière action pour toi. »
Son ton sec et son regard qui ne vacillait pas prouvaient que cela venait réellement du cœur. Néanmoins, sa voix qui se brisa au moment où il prononça « pour toi » indiquait que cela lui faisait autant de peine qu'à elle si ce n'est plus. Il avait toujours accepté avec une grande fierté le rôle de l'ami prêt à offrir son soutien et avoir à le refuser à Muse était une véritable déchirure. Les mains placées sur ses hanches, il fixait la jeune femme avec toute l'intransigeance dont il était capable. Elle le haïrait probablement, il la dégouterait sans doute mais au moins, elle n'aurait plus le cœur à venir le voir de la sorte et tenter quoique ce soit à son égard. C'était d'une logique implacable, cela devait se dérouler de la sorte, n'est-ce pas ?

Les larmes qui s'écoulèrent le long des joues de Muse n'échappèrent pas à Rhys. Il la connaissait parfaitement, il reconnaissait son attitude lorsqu'elle se mettait à pleurer et à cet instant, c'était définitivement contre un flot lacrymal qu'elle luttait, ce qui le mit immédiatement dans une posture délicate. Il détestait la voir pleurer mais il aurait été hypocrite de sa part de prétendre que ce n'était pas ce genre de réaction qu'il avait voulu susciter chez elle en la traitant de la sorte. Rhys avait bel et bien voulu l'atteindre alors à présent que cela était fait, il ne devait pas flancher. Mais c'était dur, extrêmement dur : voir Muse dans un état pareil lui déchirait le cœur mais il devait rester ferme pour le bien de tout le monde. Elle verserait des larmes et cela lui ferait comprendre que le jeune homme était sérieux, qu'elle devait se résoudre à ce que leurs chemins se séparent une bonne fois pour toutes. De marbre, il continuait pourtant à la regarder comme hypnotisé par elle : il essayait de paraître imperturbable mais son insistance à l'observer, à surveille ses larmes, le trahissait sans doute. Il la vit alors s'approcher de lui et fronça imperceptiblement les sourcils. Ce n'était pas ce genre de réaction qu'il attendait, elle aurait d'avantage dut s'écarter de lui et le fusiller du regard. Au contraire, elle semblait décidée à aller jusqu'au bout de son projet et lorsqu'elle prit la parole, ce fut avec la même résolution et détermination à obtenir le pardon de Rhys.
Il détourna le visage à la fin de sa phrase, cédant sous son regard mais surtout sous ses mots. C'était juste, elle l'avait contacté à cause de la nature de leur relation : amants puis très bons amis, lui-même se serait probablement tourné vers elle si les rôles avaient été inversés. Malheureusement, il était hors de question de changer son avis pour autant : il lui en voulait toujours autant pour ce qu'il avait du faire pour elle. Il fut cependant une nouvelle fois forcé de la regarder lorsqu'elle poursuivit d'un ton plus élevé. C'était typiquement elle : jurer comme un camionneur lorsque les choses lui échappaient. Cela n'offensait pas Rhys, il avait fini par s'habituer à cette particularité chez elle mais ce n'était pas pour autant qu'il ne la regarda pas avec surprise. Il avait froncé les sourcils et la fixait avec insistance, assez troublé par ce qu'elle était en train de lui dire. Elle l'incendiait à présent ? Elle osait lui interdire de réagir comme il le faisait ? Était-elle sérieuse ? Comme si cela plaisait à Rhys d'avoir à lui tourner le dos, comme si cela lui plaisait de se résoudre à la rayer de sa vie. Elle semblait ne pas réaliser à quel point ce qu'il avait fait pour elle était une preuve de son affection puisqu'elle osait lui en demander encore plus. Lorsqu'elle prit sa main dans la sienne, il ne la retira pourtant pas immédiatement, comme s'il ne réalisait pas ce qu'elle venait de faire. Il l'écouta une fois de plus et sembla s'attendrir par ce qu'elle finit de lui dire. Elle ne voulait pas le perdre mais Rhys non plus ne voulait pas qu'elle sorte de sa vie. Or, c'était ce qu'il devait se produire : ce n'était pas une question de volonté mais d'obligation. Le jeune homme n'agissait pas par caprice mais bel et bien parce que subir la présence de Muse autour de lui serait comme un perpétuel rappel de ce qui s'était passé un an plus tôt et il n'avait définitivement pas besoin de ça en ce moment. La regardant longuement, semblant à plusieurs reprises prêt à baisser les bras et à l'accepter, ce fut pourtant en retirant sa main de ses doigts tièdes qu'il lui répondit. Cependant, il n'était plus en colère, juste épuisé et perdu mais il eut tout de même la force de poser sa main sur son avant-bras. « Je suis désolé, Muse … Je sais que je ne suis pas le plus à plaindre dans cette situation mais je ne peux pas m'en empêcher. Je tiens à toi également sauf que ma décision est prise depuis un an à présent … Je me suis compromis une fois pour toi et avoir ton visage sous les yeux me le rappelle sans cesse. » Il retira sa main d'elle et exécuta un pas en arrière, puis un second en répétant une nouvelle fois  « Je suis désolé. »