« On le perd. Une ampoule d’adré. »

Elle prit le défibrillateur et le posa sur la poitrine d’une victime par balle. Elle connaissait ses gestes par cœur. Elle les effectuait au moins une fois par jour. Le cœur qui s’arrête, sans aucune raison apparente, elle connaissait sur le bout des doigts. Il perdait beaucoup de sang. La balle était mal placée et elle savait qu’elle n’avait que très peu de chance de le sauver. Le tracé restait plat. Son cœur n’allait pas se remettre à battre miraculeusement. Pourtant Iphigénia espérait à chaque fois. Naïvement. Comme lors de son premier patient. Dix minutes étaient passées et le bip strident continuait de résonner dans la pièce froide du rez-de-chaussée du Baptist Hospital. Au-delà de ce délai, ça devenait de l’acharnement thérapeutique. Elle lâcha les palettes et regarda sa montre.

« Heure du décès 19h24. »

Elle jeta ses gants sur le sol et sortit de la salle de trauma, lâchant un juron digne des plus grossiers personnages. Elle devrait s’estimer heureuse. Elle venait de finir une garde de 17 heures et elle n’avait perdu qu’un seul patient. Pourtant à chaque fois, elle prenait ça comme une défaite personnel. Les autres médecins prenaient ça comme une victoire quand ils ne perdaient qu’un patient. Quelque
chose devait tourner pas rond chez la jolie brune. Elle s’impliquait peut être trop. Elle devrait certainement en parler à son psychologue attitrée. En parlant du loup… Elle aperçut la silhouette gracieuse de sa meilleure amie sortir d’une des salles des urgences. Un sourire se dessina sur ses lèvres et elle accéléra le pas pour la rejoindre. Arrivée à sa hauteur, elle lui donna un coup de hanche.

« Tu voudrais pas offrir un café à ta meilleure amie. Elle aurait bien besoin d’une dose de caféine ou plus. »

Iphigénia venait de perdre un nouveau patient. Sa garde se finissait seulement dans quelques heures et elle avait déjà bien besoin de se changer les idées. Certains jours étaient plus difficiles que d’autres. Elle aurait bien besoin d’un café noir pour penser à autre chose ou alors de quelques minutes en compagnie de sa meilleure amie. Elle la distingua sortir d’une salle et s’empressa de la rejoindre lui proposant un café. En vérité, elle aurait bien besoin de quelque chose de plus fort qu’un café. Seulement, ce n’était pas très recommandé de boire de l’alcool quand on était médecin et qu’on avait plusieurs vies entre les mains. Iphigénia sourit à son amie avant que celle-ci ne prenne son bras. Elles arrivèrent très vite à la cafétéria et Iphigénia prit place. C’était comme un rituel entre elles. Dès qu’elles avaient un peu de temps, elles venaient ici se retrouver. Iph’ choisissait leur table et Stacey allait leur chercher leurs cafés. Le rituel était respecté une nouvelle fois. Assise à une table au milieu de la cafétéria, Iphigénia regarda autour d’elle. Deux jeunes enfants se disputaient une barre en chocolat. Une mère pleurait dans les bras de son mari. Un groupe d’amis rigolait. Pendant quelques minutes, Iphigénia pouvait s’imaginer être loin de l’hôpital et de tous ses malheurs. Le temps d’un café, elle pouvait s’évader loin de l’odeur de la mort et du sang.

« Nan ça va ne t’inquiètes pas. C’est juste que parfois, c’est un peu plus dur que d’habitude. »

C’est vrai que parfois, la perte d’un patient était plus douloureuse qu’un autre. Elle se souvenait encore de la première fois qu’elle avait perdu un patient. Le plus dur n’était pas réellement la mort en elle-même. Le plus dur c’était d’annoncer aux familles la mort d’un proche. Elle pouvait encore voir le visage de chaque personne à qui elle avait du annoncer cette perte tragique. A chaque fois, elle ne pouvait s’empêcher de se voir à leur place. Elle avait été là, elle aussi. Elle avait été celle à qui on annonçait la perte d’un être cher. La jolie brune remit une de ses mèches de cheveux en place et détailla du regard son amie. Elle aussi avait l’air d’être fatiguée aujourd’hui, un peu plus choqué que d’habitude aussi. Elle porta son café noir à ses lèvres et but une gorgée de la texture chaude.

« Mais tu peux parler. T’as pas du te voir dans un miroir ces derniers temps. T’as des problèmes avec un de tes patients ? »


Stacey et Iphigénia se comprenaient parfaitement. Toutes les deux avaient cette mauvaise habitude de s’attacher au patient, mais la jeune Halloway savait que ça devait être plus dur pour son amie, parce que là où Iph’ ne côtoyait ses patients que quelques heures, Stacey pouvait passer des semaines à détailler leur vie. C'était pas la même intensité de liens. Iphigénia ne les connaissait même pas. Elle s'attachait plutôt à l'idée qu'elle devait les sauver, alors que Stacey les connaissaient. Elle savait de quoi ils étaient capable ou non.